Moi, Jorge Picó, metteur en scène iberique, qui traverse les Pyrénées depuis plus de vingt-quatre ans pour tenter de sculpter l’œuvre unique de Damien Bouvet je peux dire que il vit, artistement parlant, ventre gonflé par ses idées et projets, une grossesse constante.

Quand j’ai vu son spectacle Kifélozof où il jouait carrément un homme enceinte qui devait accoucher un grand oeuf, et notre création précédente, Né, dont il faisait jaillir de son ventre 10.000 nés rouges de clown… ce sont des propos et des titres qui révèlent un lien trés fort au féminin, à cette métamorphose du corps que se produit avec la grossesse.

Métamorphose, mot clé dans le travail de Damien, car le corps, sujet de sa création et à travers de ce travail sur le corps, s’acharne-t-il à dénoncer les scléroses conceptuelles de nos vies qui résistent au jaillissement de la vie. Ouvre de libération, alors.

Tout bouge, chez Damien. Corps inséminé par un sperme éphémere qui fait naître une carrosserie de l’éternel, échos de son poète aimé René Char.

Corps et âme, comme dans Le Poids du fantôme où nous faisons extraire l’âme de chaque fantôme sans asile fait en papier avec un chant proche d’ une mélodie d’auto sacramental. À quoi ressemble l’âme chez Damien…? Céleste interrogation: à une boa en plumes, épine théâtrale, dévotion et amour pour le théâtre.

Je crois que c’est le seul auteur avec lequelle je suis arrivée au premiers jours des répétitions sans trop savoir, sans un schéma préalable, conditions qui m’obligent à une écoute totale et souvent à essayer de déchiffrer les hiéroglyphes qu’il propose sur scène dans un état un peu frémissant, où on capte les moments rares, ceux où l’inconsciente apparaît à la surface, comme voulait Vitez.

Je peux dire qu’ on a vieilli ensemble dans chaque accouchement. Moi la matrone espagnole, lui maman française fille de Rabelais et Stan Laurel.

Le vieillissement c’est le sujet de notre prochaine création, car sur un plateau de théâtre, chez nous, vieillir est la continuation de l’enfance par d’ autres moyens.

Jorge Picó